« Ne prévoyez jamais de correction pour une inspection »

Parler d’évaluation à Jordan Bulteau, jeune professeur certifié d’économie gestion à Poitiers, c’est évoquer avec lui le cœur de son métier. C’est un sujet sur lequel il souhaite apporter un témoignage, pour partager les expérimentations qu’il a menées avec ses élèves depuis son entrée dans le métier, il y a de cela 5 ans.

JB : Voilà un conseil formulé textuellement par un excellent formateur, alors que je venais d’obtenir mon concours d’économie gestion et que j’étais stagiaire. L’évaluation est en effet un exercice particulièrement complexe et donc risqué lors d’une inspection.

L’évaluation sous-tend beaucoup de questions parmi lesquelles je me suis demandé :

« Une part de la classe, déçue par sa note, ne se retrouve-t-elle pas, à ne pas suivre la correction proposée ? D’autres encore, trop satisfaits de leurs résultats, ne suivraient-ils pas vraiment la correction ?

L’évaluation sert-elle vraiment à faire progresser le meilleur comme le moins bon des élèves ? Combien de temps prendre pour corriger une évaluation avec les élèves sachant que la moitié du temps est dédiée à la composition ? ».

L’évaluation est, depuis lors, devenu le fil rouge de mon enseignement et cet article est le témoignage de mon travail réflexif. J’ai même proposé une séance de correction de copies lors de mes inspections. Quelques principes m’ont aidé à adopter une démarche pédagogique réalisable.

Principes

J’ai d’abord tenté de préciser la notion d’évaluation. Évaluer, c’est porter un jugement sur la valeur, apprécier, calculer, chiffrer, jauger.

Les sept postulats de Burns

  1. Il n’y a pas deux apprenants qui progressent à la même vitesse.
  2. Il n’y a pas deux apprenants qui soient prêts à apprendre en même temps.
  3. Il n’y a pas deux apprenants qui utilisent les mêmes techniques d’étude.
  4. Il n’y a pas deux apprenants qui résolvent les problèmes exactement de la même manière.
  5. Il n’y a pas deux apprenants qui possèdent le même répertoire de comportements.
  6. Il n’y a pas deux apprenants qui possèdent le même profil d’intérêt.
  7. Il n’y a pas deux apprenants qui soient motivés pour atteindre les mêmes buts.

R.W. Burns, pédagogue britannique, postulats datant de 1972 et édités en 1995 dans

« Essor des didactiques et des apprentissages scolaires » par J.P. ASTOLFI

 

Aussi, l’évaluation a un rôle de fabrication de hiérarchies d’excellence et son but est d’établir la certification sociale des individus (P. Perrenoud, sociologue français, « La fabrication de l’excellence scolaire ; du curriculum aux pratiques d’évaluation », 2010).

On peut catégoriser les évaluations de la manière suivante :

  • celles dites « diagnostiques », c’est à- dire qui permettent de vérifier les acquis préalables au début d’une séquence et d’adapter l’enseignement aux élèves tels qu’ils sont ;
  • celles dites « formatives », c’est-à-dire qui permettent de situer la progression de l’élève et d’apporter une remédiation au cours des apprentissages ;
  • celles dites « sommatives », c’est à dire qui permettent de dresser un bilan des connaissances et des compétences des élèves à la fin d’un apprentissage, notées par des critères définis;
  • celles dites « certificatrices », c’est à dire qui permettent d’attester la réussite ou l’échec d’un élève par la remise d’un diplôme.

Vient alors la question de la valeur d’une copie. Celle-ci est double puisqu’elle se rapporte au barème fixé ou au progrès de l’individu. Partant de ce principe, il semble indispensable de différencier ce qui se mesure de ce qui s’apprécie.

Réalisation

À l’appui de tous ces principes, comment rendre les incontournables évaluations sommatives plus formatives ? Comment mettre l’évaluation au service des apprentissages, utiliser les erreurs des élèves pour les faire progresser, pour adapter son enseignement ?

J’ai beaucoup travaillé ces questions et décidé de proposer une évaluation en fin de chaque séquence, avec un véritable travail de remédiation et d’apprentissage lors des corrections. Pour cela, j’ai mis en place un outil, la grille d’évaluation, et un protocole, que voici :

Étape 1 :

Correction par l’enseignant

La grille d’évaluation permet un travail de correction des copies qui s’appuie sur un niveau d’acquisition d’une compétence ou d’un attendu, évalué pour chaque question soumise lors de l’évaluation.

J’ai fait le choix d’éviter un nombre impair de niveaux d’acquisition pour éviter la constante macabre de la moyenne.

J’en ai donc proposé quatre : non acquis, en cours d’acquisition, acquisition à confirmer et acquis. Et puisque la note est un impératif dans le cycle terminal (où j’enseigne) et qu’il n’est pas possible de s’en passer, j’ai traduit ces niveaux en termes de barème. Le premier niveau (non acquis), ne donne pas de points.

Le deuxième (en cours d’acquisition), apporte à l’élève un tiers des points du barème prévu.

Le troisième (acquisition à confirmer), lui permet d’obtenir deux tiers du barème.

Enfin, le dernier (acquis), donne la totalité des points.

Étape 2 :

Correction par les élèves

Au début de la séance de correction, la copie de l’élève lui est remise sans aucune annotation, note ou commentaire, et est accompagnée d’une grille d’évaluation vierge qu’il doit remplir. L’objectif derrière cette auto-évaluation est de le mettre à la place du correcteur pour qu’il comprenne les attendus, identifie ses acquis et axes de progrès en fonction des capacités et de ses attentes d’évaluation. Chaque question est décryptée par une projection d’une ou plusieurs des réponses des élèves. Cette démarche permet de valoriser les capacités individuelles comme collectives puisque l’ensemble des réponses projetées ont pour vocation de démontrer la capacité du groupe à répondre parfaitement aux objectifs de l’évaluation.

Étape 3 : Bonus

Après un temps de remédiation efficace pendant le travail de correction en classe, où les élèves s’avèrent être des acteurs particulièrement attentifs et mobilisés, ils peuvent prétendre à un point bonus. Ce point leur est attribué s’ils ont été capables d’identifier le même niveau d’acquisition global que celui de l’enseignant. Il s’agit d’un temps d’échange individuel et collectif régulier avec les élèves, un moment privilégié pour valoriser leurs acquis et mettre en avant leurs axes de progrès.

Conclusion

Avec cette démarche d’auto-évaluation à l’appui d’une grille d’évaluation, l’élève est rendu acteur de son apprentissage. La note n’a plus de rôle central dans le processus d’évaluation et ne provoque pas d’effet perturbateur lors des apprentissages. Les temps de correction sont des moments très attendus par les élèves, le plus faible comme le meilleur des élèves pouvant être valorisés.

Pour ma première inspection, j’avais prévu une séance de correction de copies et celle-ci m’a permis d’être titularisé. J’ai proposé la même démarche lors de ma seconde inspection, jugée « très pertinente » et qui « participe à la consolidation des connaissances et au développement des compétences des élèves ».

In fine, il est possible de proposer une correction de copies lors d’une inspection !

Vous pouvez vous abonner au QDE 39 « Kévaluthon ? », c’est gratuit, ici.

2 réflexions sur “« Ne prévoyez jamais de correction pour une inspection »

  1. Pistes pertinentes, mais où trouver le temps de les mettre en œuvre dans de emplois du temps serrés : « Il s’agit d’un temps d’échange individuel et collectif régulier avec les élèves, un moment privilégié pour valoriser leurs acquis et mettre en avant leurs axes de progrès. »
    Cette évaluation demande au moins autant de temps que la passation elle-même, pensez-vous que les inspecteurs et autres hiérarchies vont être d’accord ? On se heurte à une problématique d’ »évaluation autrement » très ancienne (souvenons-nous des A,B,C,D,E préconisées un temps puis abandonnées …), qui engendre polémiques médiatisées entre les hiérarchies conservatrices qui ne se remettent pas en cause, enseignants récalcitrants, parents d’élèves hostiles au changement, … etc. Il faudrait ici une étude statistique sur un échantillon représentatif, avec groupe témoin, aux constats de progrès effectifs et irréfutables des élèves par rapport aux autres, et des circulaires en ce sens qui viennent de la rue de Grenelles, … et en supposant que cela suffise. Le pessimisme de ces propos réalistes ne doit pas entraver ces travaux de recherche, publiez vos grilles, donnez des exemples concrets, afin de convaincre. Courage !

    1. Bonjour Alain, je viens de prendre connaissance de votre commentaire. Dans l’emploi du temps, pour ma part cela tient depuis 5 ans, même si le temps de correction prend en effet autant de temps que la passation de l’évaluation. L’inspection était plus que d’accord avec moi sur cette démarche. Les parents d’élèves m’ont souvent fait des retours positifs, trouvant la démarche valorisante pour leur enfant. Plusieurs collègues ont adopté la démarche et l’ont adapté, l’essentiel étant de ne pas remettre de note avant la fin de la correction. Finalement, c’est surtout la démarche d’autoévaluation qui aide à la remédiation, amplifiée par l’idée d’un point bonus si elle correspond à l’évaluation de l’enseignant. Mon témoignage n’a pas vocation à ce que la rue de Grenelle reprenne l’idée et en fasse une circulaire, plus à ce que des collègues puissent s’inspirer de la démarche 😉 En tous cas un grand merci pour votre retour.

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