Faire vivre les valeurs de la République en classe au jour le jour n’est pas si simple qu’il n’y parait.
« Questions d’Éduc » a choisi de se pencher sur les classes coopératives, dispositif pédagogique en place tant au premier degré qu’au second. Cette démarche peut-elle être une des clés ?
Rencontre avec Sylvain Connac 1*, chercheur à Montpellier.
« Questions d’Éduc » :
Pouvez-vous expliquer la démarche pédagogique que porte la classe coopérative ?
Sylvain Connac :
Une classe coopérative, nous la définissons comme une classe où l’enseignant valorise et compte sur la coopération entre élèves pour améliorer les apprentissages individuels et démocratiser la réussite scolaire. Cela ne correspond donc ni à une seule pédagogie, ni à une méthode, ni à des outils qu’il suffirait d’introduire « correctement ».
Au sein d’une classe coopérative, les élèves travaillent comme n’importe lesquels de leurs camarades. À certains moments, l’enseignant leur propose de coopérer (ce n’est pas obligé).
En fonction de l’instant didactique choisi, ils peuvent travailler en groupe pour confronter leurs avis autour d’une situation-problème, travailler en équipe pour concevoir, faire vivre et mener à terme un projet qui les rassemble, s’aider, s’entraider ou faire appel à un camarade tuteur pour ne pas rester coincés face à un blocage devant une consigne.
Il existe d’autres déclinaisons coopératives qui cherchent à rendre serein le climat au sein de la classe. C’est le en conseil, pour penser et décider démocratiquement des conditions les meilleures pour travailler ensemble.
C’est aussi le cas avec les jeux coopératifs, surtout utiles lorsque tout va mal, pour fluidifier les relations, ou encore avec les discussions démocratiques pour aborder en réunion une question scientifique, littéraire ou philosophique.
« Questions d’Éduc » :
Que dit la recherche sur cette approche en classe ?
Sylvain Connac :
Les recherches scientifiques sur la coopération entre élèves sont particulièrement nombreuses et anciennes.
Elles sont aussi ambivalentes.
Les études scientifiques anglo-saxonnes (qui s’intéressent surtout aux pratiques dites de « cooperative learning ») se montrent très élogieuses :
en coopérant, les élèves apprendraient mieux, seraient plus motivés, sauraient mieux travailler avec d’autres et auraient une conscience personnelle supérieure que s’ils étaient en compétition ou travaillaient seuls (Johnson et Jonhson, 1981, 2002).
Les conclusions des recherches françaises sont souvent beaucoup plus prudentes, voire même perplexes quant aux conséquences favorables des pratiques coopératives.
La thèse de Philippe Meirieu (1983) avait montré, par exemple, que lorsque l’on laisse des élèves coopérer en autonomie, ils se répartissent naturellement quatre types de fonctions, profondément inégales et socialement marquées : les concepteurs, les exécutants, les chômeurs et les gêneurs..
Les travaux que nous avons eu la chance de conduire ont souligné d’autres dérives, comme trop de désordre dans la classe, notamment lié au bruit, ou celle dite du « consensus de complaisance », voyant des élèves contourner l’activité réflexive en se disant spontanément d’accord avec le camarade le plus doué, ou encore celle confiant aux plus avancés (par exemple ceux qui ont terminé leurs exercices) la fonction d’aide à un camarade, ce qui accroit les écarts et démotive les plus fragiles…
En somme, ce que les études scientifiques soulignent, c’est qu’il ne suffit pas de faire coopérer des élèves pour que cela ait directement des vertus pédagogiques. Tout l’art d’enseigner avec de la coopération est d’user de précautions. Par exemple, celle de former les élèves et ainsi les prévenir des pièges à éviter en travaillant avec d’autres.
« Questions d’Éduc » :
On parle souvent des valeurs de la République dans l’école. Cette démarche pédagogique vous semble t-elle de nature à faire vivre ces valeurs au sein de la classe ?
Pourquoi ?
Pourquoi non ?
Sylvain Connac :
Sur le papier, encourager la coopération entre ses élèves est effectivement un pari éducatif très prometteur du point de vue des valeurs que cela développe chez eux.
On peut aisément y retrouver la devise de la République :
- de la liberté parce que coopérer accorde beaucoup d’autonomie aux élèves (agir, choisir et penser par eux-mêmes),
- de l’égalité parce la coopération leur offre une différenciation évidente et non-stigmatisante (les élèves peuvent solliciter les camarades en qui ils ont le plus confiance, au moment où ils en ont le plus besoin),
- de la fraternité pour des raisons plus évidentes : des élèves qui coopèrent agissent au quotidien de manière solidaire, généreuse et altruiste.
C’est au contact de Jean-Paul Delahaye et du Conseil National de l’Action Laïque que j’ai pu me convaincre qu’une organisation scolaire coopérative correspondait pleinement au principe de laïcité : les élèves sont amenés à se rencontrer, à reconnaitre leurs différences comme des richesses et à concevoir un groupe-classe comme une communauté d’apprentissages où chacun peut en retirer un bénéfice.
En pratique, c’est autre chose, pour les raisons que nous avons décrites plus haut.
Le travail de recherche qui nous anime consiste à avancer dans la découverte des conditions qui feraient de la coopération une chance pour tous les élèves.
Je ne saurai jamais comment suffisamment remercier tous les enseignants, de la maternelle au lycée, qui prennent le risque de m’accueillir.
À leurs côtés, nous comprenons de mieux en mieux ce qui deviendra très certainement le premier levier d’une école future plus humaine et plus juste.
1*: Sylvain Connac, enseignant-chercheur en Sciences de l’éducation à l’Université Paul-Valéry de Montpellier et au LIRDEF. Il est issu du corps des professeurs des écoles et participe aux activités de plusieurs associations et mouvements pédagogiques : CRAP-Cahiers Pédagogiques, OCCE, ICEM34 et PIDAPI.
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